dimanche 31 décembre 2006 | By: Mickaelus

La Révolution française vue par Rivarol (1753-1801)



"Ce qu’il y a de vraiment admirable dans notre glorieuse régénération, c’est que toutes les classes d’hommes y ont également contribué. Le pair de France sans crédit s’est joint au savetier sans pratique, pour sauver la patrie en danger ; le guerrier mécontent a rassuré le timide badaud, en se mettant sous ses ordres ; et l’écrivain malheureux, de concert avec l’écrivain public, a chanté nos victoires ; c’est sans doute à cet heureux amalgame que nous devons notre incroyable liberté. C’est par un accord parfait entre le rebut de la Cour et le rebut de la fortune, que nous sommes parvenus à cette distribution des biens, qui forçait le pauvre à travailler pour le riche, ce qui donnait à l’argent une circulation mal entendue et à la terre une fertilité dangereuse ! Grâces au ciel, tout est rétabli dans l’état sauvage où vivaient les premiers hommes ; le parti le plus fort s’est trouvé naturellement le plus juste, et comme tout le monde s’est mis à gouverner, les cris des mécontents ont été étouffés. Des gens mal intentionnés ont pu reprocher à la nation le sang qu’elle a répandu en s’emparant de l’autorité ; ils ont cru que la faible voix de l’humanité pouvait interrompre une entreprise si importante : comme ils se sont trompés, les perfides ! L’élite des Français, les braves Parisiens, se sont pénétrés d’une cruauté vraiment civique : ne voulant plus de chefs, ils n’ont souhaité que des victimes, et ils ont égorgé avec ignominie les indignes sujets qui obéissaient à leur maître.

Que ne doit-on pas aussi aux généreux gardes-françaises, qui ont si bien soutenu leur réputation ! Pour se joindre au peuple irrité, ils n’ont pas même attendu qu’on les fît marcher contre lui ; et dans l’ardeur d’abandonner leurs drapeaux, ils ont deviné la tyrannie. Quel spectacle admirable pour l’armée française que de voir quatre mille guerriers, défenseurs nés de la majesté du trône, abjurer un si vil métier, donner le signal d’une noble désertion, et préférer les aumônes de la populace à la solde d’un grand roi ! Il semble que la renommée ait attaché une gloire particulière à ces illustres fugitifs. Ce qui fit jadis leur honte les immortalise désormais ; et si la guerre calme leur courage, l’anarchie en fait des héros. En effet, par combien de belles actions ne viennent-ils pas de se signaler ! Depuis le brave grenadier qui tira sur son officier jusqu’à celui qui conduisit M. de Launay à la Grève, tous ont déployé le même genre de valeur. C’est devant eux que les murs de la Bastille se sont écroulés ; ils s’aperçurent les premiers qu’elle n’était point défendue, et ils la conquirent avec cette fière assurance qui ne connaît point d’obstacles ; leurs noms ne seront donc pas les plus faibles ornements de mon petit Dictionnaire et si, par égard pour le lecteur, j’ai été obligé de faire un choix parmi tant de conquérants, ceux que je ne nommerai point ne m’en devront pas moins de reconnaissance, et leur conscience les consolera aisément de l’oubli.

Mais c’est dans ce parti populaire de l’Assemblée nationale que j’ai puisé mes plus brillants caractères ; les habiles législateurs qui le composent se sont tous trouvés placés pour seconder la Révolution. Les injustes disgrâces de la Cour ont donné aux uns l’énergie de la vengeance ; la ruine malheureuse de leur fortune a donné aux autres le génie de l’agiotage : et comme leur fonction commandait sans cesse à leur opinion, ils sont restés jusqu’à ce jour invariables dans leurs principes. Voulant réformer la France, ils ont senti la nécessité de brouiller l’État. Le peuple était encore retenu par quelques préjugés monarchiques, et par un aveugle amour de son roi. Ces grands publicistes lui ont ouvert les yeux ; ils lui ont fait découvrir son tyran dans son maître ; ils lui ont prouvé que les nobles n’étaient que des usurpateurs héréditaires, puisqu’ils osaient jouir des possessions de leurs pères ; ils lui ont abandonné les biens des prêtres, pour lui ôter jusqu’aux freins spirituels de la religion ; enfin, par leurs sublimes décrets, ils ont dépouillé le faible et encouragé le fort."


1 commentaires:

Anonyme a dit…

Un texte interessant sur cette période riche qu'est la Révolution Francaise qu'on étudie d'ailleurs en ce moment en histoire.