jeudi 7 juin 2007 | By: Mickaelus

L'abbé Ténèbre, gardien de la mémoire vendéenne

La statue en bronze de l'abbé Ténèbre a été officiellement dévoilée à la Tulévrière à côté de la petite chapelle récemment dotée d'une muséographie exceptionnelle. Dans ce hameau s'est joué un drame extraordinaire, emblématique de l'histoire de la Vendée. Il est aujourd'hui "un lieu source de la mémoire vendéenne", contre la tentation révisionniste.

Jacqueline Roy, conseillère générale, était aux côtés de Philippe de Villiers

L'abbé Alexandre Ténèbre veille dorénavant pour la postérité sur la petite chapelle de la Tulévrière, pieusement conservée non loin de Saint-Etienne-du-Bois. Il veille aussi sur la mémoire des vendéens. Sa statue de bronze, réalisée par le sculpteur Henry Murail, y a été dévoilée officiellement par Philippe de Villiers et Monseigneur Michel Santier, évêque de Luçon. "La Tulévrière est un haut lieu de la mémoire spirituelle de la Vendée, a déclaré à l'occasion de la cérémonie le président du Conseil Général. C'est l'unique exemple d'une chapelle construite en pleine Terreur. Ce lieu a vocation à devenir un haut lieu de pèlerinage".
La chapelle de la Tulévrière a été érigée en 1794 par les habitants de ce hameau du nord-ouest de la Vendée, tandis que les Colonnes Infernales dévastaient la région. "Elle a été construite à la lueur des incendies des églises alentour", illustre l'historien Laurent Charrier, un enfant du pays. Ce sont des rescapés du massacre commandité par la Convention et mené méthodiquement par le général Turreau qui ont dressé pierre par pierre le modeste édifice, en mémoire du miracle qui leur avait valu la vie sauve. A l'exhortation de l'abbé Alexandre Ténèbre, curé réfractaire de Croix-de-Vie, réfugié parmi eux, ces villageois avaient choisi de rester autour de leur pasteur, tandis qu'une poignée d'autres se réfugiaient un peu plus loin. Une Colonne Infernale est passée à cinquante mètres, ignorant miraculeusement le hameau, mais n'épargnant aucune vie alentour. La conviction du prêtre que Dieu les épargnerait avait sauvé les vies de la petite communauté. L'abbé Ténèbre engagea sans tarder la construction du mémorial, au nez et à la barbe des Bleus qui continuaient de sévir.

L'inconcevable pardon

"L'histoire de l'abbé Ténèbre est celle d'un homme de courage et de conviction", a insisté Philippe de Villiers. En dépit de la Paix de la Jaunaye, qui mettait fin à la première guerre de Vendée, le prêtre réfractaire refusa de se plier au pouvoir révolutionnaire. Il fut capturé à Coëx en 1797 alors qu'il célébrait la messe face à un millier de fidèles. Il fut déporté durant cinq ans en Guyane. De retour en Vendée en 1802, il fut affecté à la paroisse de Vairé, où il mourut vingt ans plus tard. Quelques jours seulement après son décès, l'évêque de Luçon consacra la chapelle comme lieu de culte perpétuel. "L'abbé Ténèbre était un homme de foi, a rappelé monseigneur Santier. Après toutes ses épreuves il a rendu grâce à Dieu pour tout ce qu'il avait reçu et il a invité ses fidèles à pardonner". Selon Philippe de Villiers, "en Vendée comme nulle part ailleurs, en Vendée pour ailleurs, s'est exprimé l'inconcevable pardon".
Aujourd'hui, une muséographie moderne et respectueuse de son caractère sacré dévoile les trésors à la fois modestes et inestimables du sanctuaire. On y découvre notamment la chasuble verte confectionnée par des fidèles à leur pasteur dans une robe de mariée, pour un sacerdoce de catacombe. Des vitraux de la fin du XIXe relatent l'histoire de l'édifice à l'appui d'un livret mis à disposition des visiteurs.
"La Tulévrière est un lieu source de la mémoire vendéenne, estime Dominique Souchet. Nous avons besoin de ce petit lieu. Le vieux révisionnisme n'a pas désarmé. Dans le musée installé dans le Château des Ducs à Nantes, la salle dédiée aux relations entre Nantes et la Vendée évoque "la naissance de la légende noire de la Vendée". Nulle part, il n'est question du champ expérimental de la Terreur qu'ont été les Guerres de Vendée." Philippe de Villiers a demandé officiellement que soit effacé de l'Arc de Triomphe à Paris le nom de Turreau. "Il ne fait de doute pour personne qu'il y a eu en Vendée un génocide. Il suffit d'un petit geste de reconnaissance. Il n'y aura pas de repentance en Vendée".


Laurent Charrier, historien de la Tulévrière
"Deux siècles de mémoire ininterrompue"


Que représente pour vous la chapelle de la Tulévrière ?
Ce lieu est unique. On y retrouve deux siècles de mémoire ininterrompue. Il n'y a pas eu ici de récupération, ni de reconstruction de l'histoire : ce sont les générations qui se sont succédées dans le hameau qui ont perpétué le souvenir des événements qui s'y sont déroulés. Il s'agit de surcroît d'un lieu de culte, qui a été construit en prenant des risques considérables, en pleine Terreur révolutionnaire, tandis que l'on détruisait toutes les églises alentour. La chapelle témoigne aussi d'un massacre. A la Tulévrière, on a été capable de subir ce massacre, de remercier la Providence pour y avoir survécu et de se souvenir des disparus. On retrouve ici un esprit d'humilité et de pardon.

Certains tentent de réécrire l'Histoire...
Aujourd'hui, plus personne ne peut nier la réalité de la volonté de la Convention d'exterminer les populations de Vendée. Robespierre avait besoin de conforter la République. Il lui fallait faire un exemple. Les faits sont incontestables. Des écrits l'attestent. Nier ce massacre, ce n'est pas respectueux de ses victimes. Ca revient à les tuer à nouveau. Il faut accepter d'affronter sa propre histoire. Un pays se construit par des événements qui peuvent être heureux, mais aussi tragiques. Il faut tous les accepter. Ca ne nécessite d'ailleurs pas de repentance. Il faut juste accepter de lire la vérité. Notre République s'est aussi construite là-dessus. Il faut l'admettre. Les Vendéens ne refusent pas la République.

De la tradition orale à la vérité historique, y avait-il des différences ?
J'ai entendu l'histoire de l'abbé Ténèbre de la bouche de ma grand-mère. J'ai grandi avec cette tradition. Lorsque j'ai commencé à mener des recherches historiques sur le sujet, j'ai pu constater que ce qui était vérifiable recoupait la tradition orale. L'Abbé Boutin avait recueilli les témoignages des enfants au XIXe siècle. J'ai pu consulter ces documents dans les registres paroissiaux, qui n'étaient d'ailleurs pas consultables à l'époque par les paroissiens eux-mêmes. Du récit que j'avais entendu, à ce que j'ai pu lire, en passant par le contenu des registres paroissiaux, tout se recoupe. Il y avait bien quelques détails, qui m'avaient été racontés et que je n'avais pas pu vérifier et dont je n'ai pas tenu compte, mais l'ensemble était juste.

Aujourd'hui, la tradition est toujours vivante...
Dans ma jeunesse, le pèlerinage rassemblait près d'un millier de personnes. On installait un manège. Ca durait une pleine journée. Il existe toujours, mais avec beaucoup moins de monde, deux à trois cents personnes. Il en va ainsi de la plupart des pèlerinages. Pour autant, le sentiment d'être lié à la Tulévrière est toujours très fort. On y revient. C'est un peu une paroisse dans la paroisse de Saint-Etienne-du-Bois. Ce sanctuaire est dédié à Notre Dames des Martyrs du Bas-Poitou depuis l'origine, par l'abbé Ténèbre lui-même. Ca rattache le lieu à l'ensemble des victimes des Colonnes Infernales.

A lire : "L'Abbé Ténèbre et la Chapelle de la Tulévrière", par Laurent Charrier, aux éditions Siloë.


Source : Le journal de la Vendée n° 74 - du 4 au 16 juin 2007