mercredi 24 octobre 2007 | By: Mickaelus

La fondation de la France

François-Louis Dejuinne, Baptême de Clovis à Reims. 25 décembre 496

Si l'on considère, comme nous l'a appris l'histoire à travers des exemples aussi prestigieux que ceux de l'Empire romain ou de l'Egypte ancienne, que toute civilisation est mortelle, c'est que la civilisation a une vie inscrite dans le temps et donc une naissance, une vie et une mort. Mais il faut sans doute préciser tout de suite qu'une civilisation ne naît pas ex nihilo ; elle hérite, et parfois lègue en disparaissant, comme l'Empire romain a légué ses valeurs à la province romaine gauloise devenue le royaume des Francs, et tout spécialement cette moitié nord de la Gaule qui, quoique moins romanisée que le sud, est restée le dernier bastion de romanité avant que les Francs ne prennent le relai en transcendant l'héritage romain.

Qui dit naissance dit donc fondation, car de même que Rome ne s'est pas construite en un jour, le royaume franc, la France, non plus, même si Clovis a posé des bases civilisationnelles sûres par son baptême catholique, une assise territoriale dans laquelle on reconnaît déjà notre pays, et par la transition légitime qu'il assurait avec l'autorité romaine, lui qui avait eu rang élevé dans son armée. Toutefois, cette fondation pose un problème politique, moral et identitaire, puisque tous les Français d'aujourd'hui ne comprennent pas cette notion même de fondation et de vie d'une civilisation. Cela a été très visible lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2007, les candidats ayant tous leur France à eux, une France idéologique dégagée de toute réflexion historique, et ce débat a éclos tout particulièrement dès que le sujet de l'immigration a été capté par Nicolas Sarkozy. C'est donc l'occasion de rappeler quelles sont les visions idéologico-historiques concurrentes qui s'affrontent (et dont une seule n'est pas idéologique car véritable) :

1. La première vision est celle qui consiste, comme je l'ai rappelé en introduction, à considérer qu'une civilisation - et c'est le cas de la civilisation française - a nécessairement une fondation, c'est-à-dire qu'on peut déterminer assez précisément d'un point de vue chronologique quand émerge - et accessoirement quand s'étiole - la France. Il n'y a guère de doute qu'il faille dater cette fondation de la fin du Ve siècle, quand l'autorité romaine sur la province romaine de Gaule cède la place à la monarchie catholique, véritable pilier de notre civilisation. Dès lors, il faut dater l'étiolement de la civilisation française du moment où cette structure essentielle est détruite : 1789 (la Restauration de 1814-1830 étant malheureusement plus un sursis faisant des concessions aux valeurs révolutionnaires qu'une véritable renaissance). Cette vision historique peut être qualifiée de traditionnelle et légitimiste - et de légitime de mon point de vue.

2. La seconde perspective est celle que je qualifierais de bonapartiste. Le principe de la France n'étant pas selon cette dernière transcendant et donc civilisationnel, il repose dans un territoire et dans une continuité assurée par le peuple, seule principe de légitimité et de souveraineté - selon le mot célèbre, vox populi, vox dei. La vision bonapartiste veut ainsi reconnaître toute l'histoire de France, ses rois, sa révolution, sa république, parce qu'ils auraient tous chacun leur tour contribué à l'émergence de qui fait actuellement la France ; en un mot, tout ce qui est arrivé sur le territoire de France serait historiquement français. La faiblesse de ce raisonnement saute aux yeux, puisque le mot de France est désincarné dans une succession rapide de strates historiques ne répondant à aucun principe de civilisation à partir de la Révolution. Cette logique ne permet ni de dater le fondement de la civilisation française, ni sa fin, car si on peut appeler France une république qui renie tous les principes fondateurs de la France - monarchie et religion catholique - on devrait pouvoir tout aussi bien, rétrospectivement, qualifier la Gaule de France. Il faut enfin noter que c'est ce principe douteux qui a été retenu par l'orléanisme pendant la monarchie de Juillet, syncrétisme historique symbolisé par le drapeau tricolore et le retour des cendres de Napoléon. De même, les héritiers républicains de droite opèrent à l'envie cette confusion, ainsi Sarkozy parlant de Jeanne d'Arc dont il n'a cure pendant la campagne de 2007, ainsi Le Pen mélangeant Jeanne d'Arc, Valmy, les Chouans et Clémenceau, ou même Villiers évoquant dans la charte du MPF la résistance française, qui peut être aussi bien celle de la Guerre de Cent ans que celle de la Seconde Guerre Mondiale (combat républicain et non français selon la stricte définition donnée en 1).

3. La troisième vision de la fondation française que je tiens à présenter malgré qu'elle est la plus faussée de toutes, est celle qui est défendue par tout ce qui est estampillé gauche en république française. Elle consiste à placer la naissance de la France en 1789 voire en 1793, comme l'ont pu dire Ségolène Royal ou même François Bayrou pendant la campagne présidentielle de 2007. Cette logique, allant plus loin que le syncrétisme historique bonapartiste et orléaniste, est encore moins opérante puisqu'elle nie tout simplement les siècles et les siècles de monarchie française qui nous ont porté jusqu'à la situation actuelle. Une telle proposition est en réalité une usurpation du mot France, car ce point de vue n'eût été légitime que si le mot France avait disparu en 1792 lors de la naissance de la première république. Et effectivement, la république est née à la fin du XVIIIe siècle, mais la république n'est pas la France, elle ne peut pas même prétendre être son continuateur comme le royaume franc succédait à l'Empire romain dans la province romaine de Gaule, puisque la république est l'assassin de la France.


Lire aussi : Être français, une histoire de fidélité à un héritage