mardi 10 juin 2008 | By: Mickaelus

Adam de la Halle : deux chansons à la Vierge Marie

Parmi une bonne trentaine de chansons qui ont pour thème l'amour courtois, Adam de la Halle ne renonce pas tout à fait à des préoccupations moins mondaines pour prier dans deux de ces chansons la Vierge Marie de ne pas lui tenir trop rigueur de ses aspirations amoureuses. Le corps est perçu comme le vecteur privilégié par lequel l'Ennemi assiège l'homme et le perd tandis que la Vierge Marie dispense cet amour parfait qui conduit au Pardon et à la délivrance.



***

Glorieuse Vierge Marie,
Puisque votre service m'est cher
Et que vous remplissez mon cœur,
Je ferai un chant nouveau pour vous,
Moi qui chante en homme qui implore
Secours pour sa folle conduite ;
Car je paierai cher mes plaisirs
Quand aura lieu l'appel pour le Jugement,
Si vous n'êtes munie d'arguments en ma faveur.

Nul n'aura envie de rire :
Que le jeune homme ne se croie pas à l'abri !
Car l'ignorance n'excuse pas
Les péchés qu'on fait aux fêtes.
Chacun rendra compte de sa vie.
Ah ! noble dame souveraine,
Soyez-moi couverture et manteau,
A moi qui suis si prompt à faire le mal
Et ai par vanité mis en gage mon âme.

Douce dame élevée en gloire,
Fontaine et ruisseau de douceur,
Reine de lignée royale,
Il faut vous souvenir de ceux
Qui doivent vous servir :
Que l'Ennemi par traîtrise
N'en soit le seigneur et maître !
Avec beaucoup de flèches empoisonnées
Il guette vos gens pour les frapper à mort.

Avec Orgueil il a frappé les clercs
Et avec de bons morceaux les Jacobins,
Car Gourmandise règne sur eux ;
Mais il épargne ceux de Cîteaux.
Il a frappé avec Envie moines et abbés
Et les chevaliers avec Brigandage :
Il compte bien nous prendre à la pelle.
Le rapace a encore fait pis :
Avec Luxure il a blessé tout le monde.

Priez votre doux fils qu'il ramène
En bon berger ses agneaux !
Pour vous il fera beaucoup :
Vous avez été pour lui un vase sans tache.
De ceux qui vous ont affligée
Et se repentent de leur folie,
Faites vôtre le fardeau.
Soyez pour eux un fort et un château
Quand l'Ennemi se lance à leur assaut !

***

Qui a aimé une jeune fille ou une dame
- Amour qui n'est que mensonge et vent -
Sait bien comment
La Vierge doit être honorée,
Elle dont on attend une meilleure solde
Si l'on comprend bien cet argument ;
Car une image qu'on voit et sent
Rappelle à l'esprit toute chose.

Plus que de quiconque on doit
S'étonner de certains
Qui sont très éloquents
Envers la chair humaine fardée
Et pensent absolument
Et si follement à elle
Qu'ils ne pensent pas à vous, dame,
Qui êtes plus belle que cent.

Dame par qui la joie est donnée
En héritage à celui
Qui ne la dépense pas en péchant,
Elle est bien guidée
Par une avocate sans tache, l'âme
Pour qui vous voulez doucement
Prier votre doux fruit
Qui vous aime du fond du cœur.

Mon âme a bien lieu de se désoler,
Elle qui voudrait vivre saintement,
Quand le corps par qui elle devrait
Être préservée ne songe qu'à des vanités.
Dame, mettez fin à ce combat !
Le corps a trop d'audace.
L'affaire est si mal engagée
Que l'âme s'en ressent très vite.

Noble reine couronnée
Qui donnez sans réserve votre amour,
Grâce pour ma folle conduite !
Et si elle vous est demandée bien tard
A cause de mes vaines fréquentations
Et de mauvais conseils,
Ne consentez pas, dame redoutée,
A ce que tourne à mon dommage ce retard !

Je vous ai invoquée, dame,
Parce que je n'espère pas de salut
Si ma prière est rejetée
Par vous en qui le pécheur espère.


Adam de la Halle, Chansons, dans Oeuvres complètes (seconde moitié du XIIIe siècle) - (traduction par Pierre-Yves Badel)