dimanche 17 mai 2009 | By: Mickaelus

Francis Lalanne et la monarchie : quelques rectifications essentielles




Il y a un peu plus de quinze jours, j'ai particulièrement savouré ce moment télévisuel grâce à l'inénarrable Francis Lalanne, non pas tant d'un point de vue qualitatif, on s'en doute, que d'un point de vue comique voire dramatique. Ce n'est pas que M. Lalanne ne soulève des questions intéressantes, quoique sur un mode excessif, mais l'ambiance est dans ces deux vidéos (dans la seconde surtout) si électrique qu'on ne peut s'empêcher de se réjouir de manière un peu primaire comme dans une arène. Avant de donner en quelques points un avis non exhaustif sur les thèmes abordés, disons simplement que l'attitude de Lalanne résume grossièrement comment se comportent les artistes chéris de la télévision dès lors qu'ils se sentent un peu mal aimés ou qu'on ose percer d'une flèche critique leur aura de demi-dieu médiatique. La télévision a atteint un tel degré de servilité publicitaire que les critiques un peu acerbes et directes de Zemmour et Naulleau, chacune dans son genre, ne peuvent que faire du bien et remettre à leur place des individus puérils dont l'ego n'égale que la médiocrité.

Lalanne commence par un constat qu'il soumet à Éric Zemmour, en proclamant que beaucoup de Français aspirent encore selon lui à un pouvoir fort de type monarchique et à caractère vertical, tandis qu'il s'agit pour lui de refonder la république parce que, comme il le dira un peu rapidement à un Éric Naulleau sceptique (tellement sceptique qu'il se demandait si Lalanne dans son livre n'allait pas annoncer qu'il sollicitait l'asile politique en Corée du Nord), la république française ne serait plus un état de droit, Nicolas Sarkozy concentrant tous les pouvoirs sous le prisme de l'"efficacité" (horreur suprême pour Lalanne, qui hérite pourtant de Jacobins dont la guillotine a fait preuve d'"efficacité" en son temps). Essayons donc à partir de là de donner quelque point de vue, même si la confusion remarquée par les deux critiques ne facilite pas les choses.

Même si j'aimerais volontiers ajouter foi à ce propos, je ne suis pas certain qu'il y ait tant de Français d'aujourd'hui qui soient partisans d'un régime monarchique fort comme le suppose Lalanne. Que certains soient attachés à la Ve République et ne désirent pas l'avènement d'une VIe République, telle qu'elle fut évoquée lors de la campagne des dernières élections présidentielles, avec un renforcement parlementaire qui n'est pas sans évoquer les catastrophiques IIIe et IVe Républiques, je le conçois fort bien ; mais qu'on fasse de la Ve République un régime monarchique, est une exagération qu'il n'est pas possible de valider si on compare ce régime avec ce que fut vraiment la monarchie française à son apogée avant la Révolution. Tout d'abord, la Ve République n'a pas de caractère vertical : le président de la république est élu au suffrage universel direct et tire sa légitimité du peuple, ni de la force armée, ni de Dieu (Napoléon pour le premier modèle césariste, les Capétiens pour le second et le droit divin). Ensuite, si l'exécutif est plus puissant que dans les IIIe et IVe Républiques, les pouvoirs sont séparés et les tristes maximes de Montesquieu en usage : il existe bien un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire, de même que la souveraineté est partagée entre les couples exécutif et parlementaire. Qu'on compare avec la monarchie capétienne traditionnelle à son zénith avec la monarchie absolue de droit divin de Louis XIV et de Louis XV, dans laquelle la souveraineté appartient au roi et à lui seul (il n'existe pas d'Assemblée nationale mais des "parlements" de province) et où les pouvoirs ne sont pas séparés, et on comprendra que le sort fait par Lalanne à la Ve République est injuste. Il la surestime grandement ! Ce n'est qu'une république démocratique où les pouvoirs sont bien séparés, la souveraineté au peuple, mais où l'exécutif est un peu renforcé afin que l'action politique ne soit pas paralysée par le parlementarisme outrancier, ce qui est la moindre des choses.

On pourrait juste accorder à Lalanne, s'il ne mélangeait pas tout, quelque crédit quand il évoque l'attitude de l'exécutif à propos du Traité de Lisbonne rejeté par les Français par référendum. Il est évident qu'il est paradoxal et dédaigneux de rejeter l'avis qu'on a sollicité quand on prétend tirer sa légitimité du peuple, mais je ne vois pas que Lalanne soit choqué par l'aliénation de la nation à l'Europe politique, mais par le fait que le peuple (français ?) n'ait pas plus de prise sur la machine de l'exécutif. Car s'il s'agissait de souveraineté, on pourrait aussi bien lui rappeler que le roi de France traditionnel avait pour charge de protéger l'intégrité territoriale de son royaume et qu'une Europe supranationale n'aurait pas risqué de voir le jour. C'est le même paradoxe que chez les souverainistes républicains. De plus, Lalanne pourrait être rassuré par le fait que ce qu'il considère comme une monarchie est déjà aliéné par une Europe qui décide d'un nombre de lois déjà ahurissant ; c'est donc de cette dictature technocratique qu'il devrait s'occuper (et je n'ai jamais lu que Saint-Simon rêver de mettre un roi à la tête d'une Europe politique).

On l'aura compris, l'obsession de Lalanne, c'est la voix du peuple et la légitimité populaire, ce qui aurait pu être compris voire partagé par le bonapartiste Zemmour (qui ne sait plus s'il doit se dire monarchiste dans l'extrait), puisqu'une devise du bonapartisme est "vox populi, vox dei" ; sauf que les Napoléon furent hypocrites à cet égard et que c'est la force qui les a légitimés, plus que des plébiscites auxquels la réponse ne pouvait être que oui, exactement comme aujourd'hui concernant l'Europe. Le problème que ni Lalanne ni Zemmour ne voient, c'est que la légitimité par le peuple, ce n'est qu'un mythe qui sert de marche-pied à l'habileté humaine, ce qui s'est toujours vérifié d'une manière ou d'une autre depuis la Révolution. La Révolution permanente ou le parlementarisme permanent que voudraient Lalanne n'étant pas dans la nature du possible, il faut toujours que quelqu'un s'approprie cet élan populaire et finisse par décider. Et c'est là que Lalanne est pris au piège de l'homme providentiel qu'il croit pouvoir éviter, car jamais les Français ne sauveront la France sans que quelqu'un émerge du lot et ne prenne les commandes de la nation : le désordre ne dure jamais qu'un temps. La seule alternative possible à cette crise de la légitimité, ce sont les royalistes légitimistes qui peuvent la fournir, grâce aux lois fondamentales du royaume de France d'une part, qui déterminent la succession des rois de France, et grâce au droit divin d'autre part qui détermine l'origine du pouvoir qui ne saurait provenir que de Dieu, car toute autorité émane de Lui. De cette manière, les devoirs du roi sont définis sans ambiguité ni tyrannie, puisqu'il n'a rien qu'à gagner en faisant prospérer le domaine qu'il transmettra à son héritier, et le droit naturel respecté parce que le peuple n'a pas à l'inventer et que les inventions rousseauistes qui misent sur un homme nouveau et abstrait sont les matrices de la violence, de la révolte, du chaos et du sang.

Et c'est cette violence qui m'a particulièrement marqué chez Lalanne, une violence toute révolutionnaire dont il a résumé l'esprit en ces mots : "il faut reprendre la France à zéro". Éric Zemmour ne va pas assez loin quand il évoque la synthèse qu'est la Ve République et le déterminisme historique qui nous a amenés à celle-ci : la France a une fondation et une essence monarchique, une inscription dans la loi naturelle de Dieu qui ne peut s'exprimer glorieusement qu'en mettant nos pas dans la tradition, tout en évitant les simulâcres que sont les fausses monarchies gaulliste, bonapartiste, orléaniste, qui tombent dans le piège de la démocratie et de la révolte, car en les couronnant momentanément ils ne peuvent que sombrer dans ce tourbillon chaotique, tôt ou tard. La France ne retrouvera pas morale et humanité, comme le souhaite Lalanne, en tombant dans le piège du reniement de soi (on a vu l'humanité en Vendée des "hommes nouveaux"), mais en faisant le choix de renouveler sa tradition et les valeurs fondamentales de sa civilisation. Il n'y a que le roi de France légitime désigné par la tradition, au-dessus de la mêlée démagogique des partis, des intriguants, des tourbillons populaires, qui puisse légitimement et serinement, dans la durée, oeuvrer pour le Bien commun.